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SAISIE DU SENS

Les textes ayant généralement un sens, c'est sans doute aux sens que doivent conduire les analyses linguistiques. Les langues sont, en effet, des systèmes de manifestation, orale et visuelle, de contenus communicables. Une branche de la linguistique est dédiée aux éléments de sens, ou sèmes, c'est la sémantique.

Sémantique et lexicologie, logique, pragmatique, thématique, sémiologie.

La sémantique s'occupe du sens des mots. Elle n'a pas à s'occuper d'actualisation ou de relation entre les groupes mais elle se tient en étroite connexion avec la lexicologie. Les éléments de sens viennent se loger dans la racine, le préfixe, l'infixe, certains suffixes. Cela veut-il dire que la sémantique peut ne pas tenir compte du texte dans ses liaisons, ni de la réalité environnante?

Laissons l'agencement des groupes à la syntaxe (et à l'argumentation); l'actualisation, à la morphologie (et à la pragmatique). C'est bien dans les racines lexicales que se trouvent les particules élémentaires de signifié, les sèmes (qui s'explicitent dans des segments mis entre guillemets, pour plus de clarté). Par exemple, si on rencontre le mot liberté, on s'interroge sur le contenu sémantique en se posant des questions comme les suivantes.
Dans lesquels des cas suivants peut-on parler de «liberté»?
a) Je ne suis sous la dépendance de personne;
b) Je ne me gêne pour rien;
c) Je détermine mon action à l'intérieur des règles sociales;
d) Je ne me laisse pas influencer dans mes jugements.
1) Dans les quatre cas.
2) a et d seulement.
3) c et d.
4) b, c et d.
Réponse Dans les quatre cas, bien qu'il s'agisse d'acceptions distinctes.
Et Le sens a est un sens strict; b, un sens large; c et d, des sens spécifiques (liberté civique et liberté de penser).
Définition Concept: «contenu psychologique intermédiaire entre le référent (qu'il soit objet, idée, sentiment, action ou personne) et le mot lexical, graphique ou sonore, correspondant».

Le même mot peut donc s'employer dans une multiplicité de sens précis, qui le rendent utile dans divers domaines. Il peut même s'employer dans des domaines tout autres que les siens, ce qui lui donne un sens métaphorique (la neige de l'oubli). Il est susceptible de changer de sens selon les occasions et peut ainsi prendre différentes acceptions. Ex. Une feuille (d'arbre, de papier, de chou). Connaissiez-vous le mot acception? Aurait-il la même racine que le verbe accepter? Quelle racine?

La racine cept (et le préfixe ad devenu ac-). Définition : Acception, « un des sens accepté pour un mot». Ex.: une ronde, en musique, "note qui peut remplir toute une mesure". Au jardin d'enfant, le sens de "danse en rond" est une tout autre "acception".

Les acceptions sont-elles une contextualisation? Une façon d'actualiser? Ou une façon de tenir compte du co-texte, du sens de l'ensemble?

L'environnement textuel ou réel peut certes lever les doutes que l'on peut avoir sur les acceptions, mais celles-ci ne sont pourtant pas directement liées au co-texte, ni au contexte. Il suffit de savoir dans quel ordre d'idées, dans quel domaine la notion prend place. Pour préciser le contenu sémantique de ronde ou de feuille, on n'a pas nécessairement besoin du sens de la phrase, ni de connaître les personnes qui parlent : il suffit de savoir qu'il s'agit du domaine de la musique, où une feuille n'est pas celle d'un arbre. Les éléments de sens ou sèmes sont donc regroupés en domaines, qui sont des contextes si l'on veut mais conceptuels.

Il semble intéressant de tenter de dégager ce qui peut se passer au niveau des idées entre la linguistique et la logique. Cela permet de mettre en relation les points de vue convergents des diverses sciences sur une réalité globale qui, pour chacun de nous, est finalement une et indivisible, car elle fait partie de la vie que nous nous donnons.
Dès 7h. du matin, mille agents quadrillent le Quartier Latin.
La notion à retenir, dans le domaine de l'action policière, est : _________.
1) Tracer des carrés. 2) Répartir en zones. 3) Répartir les effectifs. 4) (Autre chose)
Réponse Répartir les effectifs.
Mais Du papier quadrillé (1). Le quadrillage hospitalier (2).
Depuis la télévision, on vit de plus en plus planétairement. Les sèmes retenus pour cet adverbe sont ici : ______.
1) «astre éteint» 2) «la Terre» 3) «le monde» 4) (N'importe)
Réponse «le monde» Et On acquiert une conscience planétaire (globale).
Mais Le système planétaire. Un voyage interplanétaire (1). Le vent planétaire (2).
Explication. Les emplois dans d'autres domaines font distinguer des contenus sémantiques divers pour le même mot.

Certes, la logique, qui est une banche de la philosophie, n'est pas une branche de la linguistique. Mais les agencements de sèmes, et la façon de les expliciter (avec d'autres mots), la linguistique doit s'y intéresser pour compléter son investigation du système de la langue. Et le rapport à la réalité, étudié par la pragmatique, est aussi limitrophe. Problème de frontières! Le sens touche à la langue, à la réalité, mais il a aussi ses propres lois (logiques). Il n'est pas inutile de s'efforcer ici de débrouiller les limites de ces disciplines, même si la question peut paraître excessivement intellectuelle. Il n'est nullement gratuit de découvrir les mots à préférer pour se faire comprendre, donc le sens "essentiel" qui s'attache à un mot lexical.

Faisons donc un tantinet de logique.
Pourquoi est-il irréaliste de condamner les assassins à la prison à vie et de les gracier à la moitié de leur peine s'ils sont aptes à une réinsertion sociale?
1) Les assassins méritent une peine proportionnée au dommage causé par eux à la société.
2) Les prisons sont excessivement coûteuses au contribuable.
3) Leur réinsertion est un risque excessif.
4) (Autre chose)
Réponse Autre chose: on ne peut les gracier «à la moitié de leur peine» s'ils sont condamnés à vie, à moins de savoir d'avance la date de leur décès...
Règle Quand des sens incompatibles sont activés par le contexte, il y a erreur, souvent avec un effet comique.
Le cours est divisé en leçons. Chacune est indépendante et ______ dans n'importe quel ordre.
1) peut être étudiée 2) peuvent être étudiées 3) elle peut être étudiée 4) elles peuvent être étudiées
Réponse et elles peuvent être étudiées
Mais et peut être étudiée la première.
Règle Pour qu'il puisse y avoir un ordre, il faut que l'objet ne soit pas un ensemble ou un élément mais une pluralité d'éléments.

Pour plus de détails sur la logique et la pragmatique, nous devons renvoyer au cours de rédaction (Écrire, chap.4 et 5). Ici, il y aura un aperçu sur ce qui entraîne des modifications au sens du texte.
Les exécutions. La vérité après quarante ans. (Titre dans un hebdo illustré.)
Comparer avec: Les exécutions. La vérité, quarante ans après?
1) Le sens est le même. 2) Il y a deux sens opposés. 3) C'est une nuance qui dépend de la virgule. 4) Tout dépend de l'intention du locuteur.
Réponse Cela dépend de l'intention. On annonce que la vérité est connue, ou bien on estime que la vérité ne peut plus être connue.
Explication Le sens est dans le ton exclamatif (on sait enfin) ou allusif (qu'est devenue la vérité?) Pour fixer les deux interprétations, disons que la première serait celle du titre dans Paris-Match; la seconde, dans Libération.
Mais Ni la virgule, ni l'ordre des mots ne conditionnent le sens puisqu'il s'agit de toute façon d'une circonstance de temps, qui peut se voir asserter à part.

Le sens d'un mot dans une phrase dépend sans doute de l'époque, de la culture, du domaine, mais il peut aussi être modifié complètement par les intentions du locuteur. On parle de sens situationnel quand la spécification du sens vient du référent ou des conditions d'énonciation. Parfois, des incompatibilités surgissent. Quand les effets relèvent des mises en situation, qu'étudie la pragmatique, ils ne sont plus du ressort de la sémantique.

En revanche, c'est quand le sens mais aussi le choix d'un terme lexical sont en cause que l'on se trouve dans le cadre de la sémantique proprement dite.

Pour déblayer le terrain, mentionnons encore la stylistique de Bally. Elle étudie les connotations, les effets de style, et les niveaux de langue, indépendamment des contextes. Elle dit qu'adorer, par exemple, est plus fort qu'aimer. Ou que les suffixes -ard, -ace, -âtre, -aille sont péjoratifs (chauffard, populace, douceâtre, mangeaille). Ou que des expressions comme sans conteste, et graver son empreinte sont d'un niveau élevé ou "châtié". Ceci appartient-il à la sémantique?
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On peut voir dans adorer les sèmes "aimer" et "plus que tout", ce qui est une analyse de type sémantique. Les connotations de certains suffixes introduisent aussi des sèmes supplémentaires (comparer chauffard et chauffeur). Pour les niveaux de langue, qui décrivent un public implicite, on fera mieux de rapprocher la stylistique de Bally de l'actuelle pragmatique.

Branche relativement récente de la linguistique, la pragmatique la déborde dans la direction de l'environnement contextuel. Elle est tournée vers l'énonciation, les intervenants, leurs attitudes, la visée des textes, voire leur production et leur consommation. Mais où et quand peut-on étudier l'énoncé comme tel, le contenu du texte?
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Les disciplines intellectuelles qui s'occupent des contenus explicites (objet, idée, sentiment, action, personne) sont la thématique, l'analyse du discours, les langages documentaires. Mentionnons aussi la sémiologie, qui replace l'information communiquée dans les phénomènes de la communication (comment se peut-il que l'on puisse communiquer quelque chose, et quoi?) La sémantique comme branche de la linguistique (donc l'étude du sens des mots dans le cadre de l'usage le plus général en langue) fait le lien de ce qui se trouve du côté des études de contenu et de situation, et les mots. Il importe de dégager les concepts des mots qui les contiennent, ce qui s'opère par un truc simple : les guillemets.
Où trouve-t-on le sème «premier moment de» dans la phrase suivante.
Les nouveaux en archéologie ouvrent le bal d'initiation de la rentrée universitaire.
1) Dans les mots nouveaux et initiation.
2) A nouveaux, initiation et ouvrent.
3) A nouveaux, initiation, ouvrent et rentrée.
4) A nouveaux, initiation, ouvrent, rentrée et archéologie.
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Réponse À nouveaux, initiation, ouvrent, rentrée et archéologie.
Remarque. Même archéologie, car c'est la science des débuts.
Définition Les sèmes, étant des concepts, ne sont ni des mots, ni des réalités. Comment les désigner, cependant, et comment éviter que les mots choisis pour cela ne désignent d'abord des réalités? Seule l'utilisation, donc l'intention du locuteur permet de communiquer des concepts comme tels (d'où les guillemets).

Sens et réalités.

Pour découvrir ce qu'est un sème, on le comparera d'abord avec "la réalité" référencée. Le sens conceptuel dont s'occupe la sémantique s'établit certes en se fondant sur les mots où il est exprimé, mais le sens n'est pas dans les mots comme tels, ils ne font que le porter. Où? En nous... mais dans l'esprit? Donc dans les synapses cervicales? Si le lien des mots et des idées est dans l'esprit, les idées sont-elles autre chose que les mots? Sont-elles dans les choses dont on parle? Ou dans l'idée de ces choses portée aussi dans le cerveau? Comment faire pour dégager le sens soit des mots, soit des choses?
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C'est une question importante, qui fait même l'objet de toute une branche de la philosophie (l'épistémologie, critique de la connaissance). Pour les besoins du moment, on se contentera d'observer que le sens se dégage à la suite d'un acte de représentation de l'idée de quelque chose, donc nécessairement pour quelqu'un dans sa durée à lui plus encore que dans celle de la chose. Et cet acte consiste dans une comparaison. Comparer deux mots fait surgir des différences de sens entre eux. Comparer deux choses (ou deux perceptions, sentiments, idées, actions, personnes) fait surgir des différences également "à l'esprit" (même si on ne les a que sous forme de souvenir, in absentia). La compréhension, ce que l'on comprend, est la somme de ces différences. On a donc deux compréhensions, qui tendent à se rejoindre : une pour le mot (comparé à un autre) et une pour la chose (comparée à une autre). Cette compréhension est un ensemble de sèmes (par exemple une définition).
Préciser la "compréhension" de oiseau, c'est ________.
1) considérer la totalité des êtres que recouvre le concept d'"oiseau"
2) rassembler les caractères de l'oiseau
3) relever les sens ou acceptions du mot oiseau
4) considérer les propriétés spécifiques des oiseaux
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Réponse rassembler les caractères de l'oiseau
Et Les propriétés spécifiques (couleur, mue, cycle de reproduction), qui sont parfois secondaires, peuvent entrer dans la compréhension.
Mais Énumérer les acceptions du mot (par catégorèmes, c'est-à-dire par domaine, dans la réalité) est un travail sémantique mais préliminaire.

La compréhension d'un concept rassemble tous les éléments de sa définition: caractéristiques génériques et différences spécifiques. Par exemple, pour oiseau: animal, vertébré, sang chaud; et: plumage, ailé, bec corné sans dents, adapté au vol, ovipare.

Compréhension et extension.

La compréhension bénéficie d'une plus ou moins grande extension : il y a dans la réalité connue une quantité dénombrable (de zéro à n'importe quel nombre fini) d'objets qui ont les sèmes énumérés. L'extension considère la totalité des êtres que recouvre le concept.

Prenons orangeraie :"plantation" et "d'orangers". Le mot a un sème de plus que plantation. il a pourtant une moindre extension (il y a plus de plantations que d'orangeraies). De même, prenons orangerie :"serre ou jardin" et "où l'on rassemble les orangers cultivés dans des caisses". Orangerie a plus de sèmes que serre ou jardin. Son extension sera d'autant moindre. (Il y a plus de serres ou de jardins que d'orangerie.) Si on vise tous les objets à la fois, extension maximale, on doit utiliser des termes qui n'ont quasiment plus aucun contenu conceptuel (chose, machin). Que peut-on conclure de là?
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La première loi importante de la sémantique est que, quantitativement, l'extension est inverse à la compréhension. Plus il y a d'objets à inclure, moins il y a de sèmes qui conviennent. Dans la compréhension et l'extension, les quantités varient de façon inverse. Augmenter la compréhension, c'est-à-dire le nombre de sèmes, fait diminuer l'extension, c'est-à-dire le nombre de référents. «Quand la compréhension augmente, l'extension diminue et réciproquement.» Plus une définition est poussée, moins il y a d'objets qui y correspondent. Si sapinière = «forêt» + «sapin», sapinière a plus de sèmes que forêt et il doit donc y avoir un moins grand nombre de sapinières que de forêts. On se rend compte que la sémantique s'occupe d'éléments conceptuels, les sèmes, qui sont évidemment tirés de la réalité et désignés par des mots mais qui ne font plus directement partie ni de la langue (car on peut les appeler tant bien que mal : ils seront compris comme idées parce que les mots choisis seront entre guillemets) ni du monde (il suffit de se souvenir pour penser, ce qui n'est pas une perception nouvelle mais une idée tirée des perceptions antérieures). Mais où sont alors ces idées?
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Nulle part. Elles sont le fruit d'une activité du sujet (quelqu'un qui dit je). Rien d'automatique! Pure invention momentanée (mais durable car on peut les rappeler). Elles s'attachent d'ailleurs aux mots qui les expriment. On se sert des mots auxquels on lie ses souvenirs pour explorer le réel et on se sert du réel pour accroître son vocabulaire.

Bases théoriques de la sémantique.

La sémantique peut partir du mot pour étudier la spécificité des divers sens (sémasiologie) ou partir de l'objet pour en étudier les divers noms (onomasiologie). Elle fait donc le joint entre le référent et son nom dans les deux directions. Elle passe de toute façon par l'intermédiaire des concepts. Ils servent de point de rencontre. La parenté des objets fait discerner leurs points communs ou distincts (chien versus chat = "animal domestique" "qui aboie" ou "qui miaule'). Cette parenté des objets rapproche aussi les deux mots. On arrive aux mêmes points communs ou distincts si l'on part des deux mots (pour en trouver le sens) que si l'on part des deux animaux (pour en trouver les noms). Les idées sont comme au croisement des noms et des choses. Ceci mérite un examen attentif car l'habitude est de considérer comme vraie la réalité et elle seule (tendance réputée nord-américaine), ou de tout envisager comme idée (tendance réputée française). La réalité et les idées vont être prises en compte autant l'une que l'autre en sémantique. Où se situe alors cette branche de la linguistique? Aurait-elle une relation avec la personne qui parle?
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Le sémanticien se distingue du logicien comme du lexicologue en établissant entre eux un lien qui est justement son domaine propre. Les mots sont les moyens d'expression de ces idées qui donnent accès au réel autant qu'elles proviennent de la perception. Comment les séparer? Et comment pourrait-on voir la pensée indépendamment de ce qu'elle pense? Le fondement de la sémantique est-il ailleurs que dans le monde réel et dans les mots? Peut-on dessiner leur relation?
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Il existe un schéma fort utile, connu sous le nom de "triangle d'Ogden et Richards", deux chercheurs américains du XXe siècle. On sait que le nom représente le référent (représentation vraie ou fausse). Ce lien n'est pas direct. Ogden et Richards le montrent en dessinant un triangle ABC dont le sommet B est le concept, disons "cheval"; le point A, le référent (CHEVAL); et le point C, le mot lexical comme mot (cheval). Il n'y a pas de ligne entre A et C. Pour aller du mot à la chose ou réciproquement, il faut nécessairement passer par B, qui est ce qui se passe dans la tête (comme on dit). Le mot ne signifie que par le détour du concept. La chose n'est analysable et sans doute perceptible dans son identité que par le même chemin. Le nom est donc attaché (en nous) à un concept (symbole correct ou incorrect) et ce concept renvoie à un référent (rapport adéquat ou inadéquat).

Au fait, ce triangle est plutôt un trapèze, vu que le concept est envisageable de deux points de vue. Du côté référent, il y a la sensation et la perception d'un contenu conceptuel global, qui dépend de ce qu'on voit ou touche ou mesure et de l'analyse (qui suppose une connaissance des "lois de la nature"). Du côté lexical, le concept est constitué de sèmes (ou éléments de sens) attachés à un choix lexical parmi les termes lexicaux dont on dispose. C'est le lien d'un "matière", déjà intelligée, à des éléments de sens, liés aux "mots de la tribu" qui constitue le centre nerveux de la sémantique personnelle (et il n'y a de sémantiques réelles que personnelles).

La sémantique est donc particulièrement concernée par les sèmes, assemblages de mots visant une idée aussi élémentaire que possible, mais tirée de l'expérience du monde et renouvelée par les échanges intersubjectifs, où se partagent les détails de ces assemblages dans une intimité réciproque, parfois collective (l'apprentissage en classe, la recherche en équipe).
Le nom propre a-t-il un sens, dans l'acception purement sémantique; a-t-il des sèmes?
1) Non. Son lexème ne désigne un référent que par convention.
2) Oui, pour le lexicographe (ex. Latulipe, Dupont).
3) Oui, pour l'historien, enregistreur des actions dignes de mémoire.
4) Oui, dans les annuaires notamment.
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Réponse Non. La naissance, le baptême (un fait, une cérémonie) attribuent le référent (unique) au mot lexical.
Mais Dans les antonomases (un cicérone, un harpagon), oui, le lexème acquiert du sens.
Règle Le sens n'est ni le mot par lequel on l'exprime, ni la réalité visée. Il est doué d'une structure interne dont chaque partie (ou sème) peut être exprimée (sèmes générique, spécifique; virtuème, classème).

Les noms propres désignent directement leur référent. Pas de trapèze, dans leur cas, à moins de dégager dans le nom propre des effets de sens (par exemple de voir du LION dans Pygmalion).

C'est la raison pour laquelle le nom propre ne se retient qu'à la suite d'interactions multipliées. Il peut cependant arriver que l'on attache des significations à un nom propre, selon ce que l'on pense de la personne, mais cela se transmet plutôt par les intonations.

Doit-on, pour accéder aux concepts, se servir du trapèze en le parcourant à partir du référent (perspective phénoménologique) ou bien à partir des mots (perspective artistotélicienne)? Ou encore, les deux démarches sont-elles corrélatives, les résultats finissant par se préciser en les alternant?
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Dans la pratique, le contexte et les phrases enregistrées par la mémoire dans toutes sortes de situations, vécues, lues, vues à la télé, ont un rôle à jouer. Mais la perception n'est pas passive ou plutôt, ce qui se grave, comme on dit, dans la mémoire, c'est surtout ce qui répond à une intention personnelle et qui a fait l'objet d'un traitement, d'une synthèse.
Le député se défend d'avoir une action fractionniste.
La notion à retenir dans ce dérivé adjectival est : ________.
1) «briser» 2) «diviser» 3) «morceler» 4) «fragmenter»
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Réponse «morceler»
Mais Activité fractionnelle : «qui rompt l'unité du parti» (1). Nombre fractionnaire : «qui a la forme d'une fraction» (2). Distillation fractionnée : «séparation d'un mélange de liquides dont les points d'ébullition sont différents» (4).

Mieux vaut sans doute voir les concepts comme des constructions. Ils s'échafauderaient comment?
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Ils se détachent de la perception afin de la conserver une fois qu'elle disparaît, mais cette conservation, pour durer, devient corrélative à la capacité d'agir par soi-même. Elles entrent dans l'imaginaire et donnent une forme à la liberté individuelle. En prenant appui sur les mots en vue de traiter le réel, les concepts sont une sorte de bricolage intellectuel. Leur domaine est vaste comme le possible et ouvert à toutes les découvertes. Ils nous lient aux choses mais aussi à la culture, aux mots disponibles, reçus dans le sens attribué par nous au discours dominant et au discours des autres sur le discours dominant (la langue de bois).

Mais ne vaudrait-il pas mieux avoir un code, l'enseigner dans les écoles, et s'y tenir? N'y a-t-il pas une vérité à sauvegarder à travers toutes les fluctuations, notamment politiques, une fidélité à autrui qui devrait s'interdire les interprétations psychologiques plus ou moins profondes du comportement d'autrui?
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S'il peut sembler rassurant de tabler sur quelques formules, une nomenclature, des tables de la loi, en divers domaines, surtout scientifiques, et d'y ramener d'avance le résultat d'un effort qui doit se faire dans la plus entière liberté pour être valable. Ce serait négliger la part de liberté individuelle qui est le fondement de tout le processus et qui peut seule en garantir la valeur. Il faut que la découverte du sens ne soit pas imposée (comment pourrait-elle l'être autrement que dans les formulations!) Mais qu'elle reste ouverte à une évolution à la fois individuelle et collective, sans cesse reprise, mais jamais à zéro, par chaque sujet parlant. En simplifiant sans reconnaître à chacun et chacune son autonomie, on se prive de toute adaptation et finalement de tout progrès. Le rôle de l'école ne devrait pas être décrit de manière réductrice. On sait les ravages du par coeur. En revanche, si on prend l'expression dans son sens originel, ce que l'on sait pas coeur n'est pas ce que l'on récite sans faute mais ce que l'on redit à sa façon, parce qu'on aime à le redire, et à se le redire.

Des choses et des mots... vers les idées.

Si je n'avais pas écrit et imprimé ici ce que je pense de la sémantique, comment pourriez-vous en prendre connaissance et y réfléchir? Même pour saisir sa propre pensée, chacun n'a-t-il pas lui-même besoin de la dire ou de l'écrire? Si l'acte de penser est libre, ses objets ne sont-ils pas déjà là et les mots pour la dire fournis par la collectivité? En se formulant, n'arrive-t-il pas à la pensée de se préciser, de se modifier, de se réformer, de se former?
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Le mot est plus qu'un canal de communication : c'est un recueil de tant d'utilisations efficaces, celles qui ont marqué chaque être individuellement et collectivement dans le passé, et par là, une forme de tant de futurs emplois possibles. Ils sont limités dans le temps -- une courte vie -- non dans leurs possibilités.

Quelles sont les possibilités de sens qui s'offrent ainsi? On choisit entre quoi et quoi?
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Les choix se font selon les contenus (quand ils sont déjà là) et entre les formes. Ou bien le contraire? Choisit parfois selon les formes et entre des contenus?
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Le contraire se présente au décodage, à la lecture. Dans les deux directions, il y a des différences de signification, à exprimer ou à découvrir, et de forme, à trouver ou à interpréter; et les nuances de sens de se modeler et remodeler, pour ou par chacun et chacune. C'est peu de dire que deux termes ne sont jamais exactement synonymes. Dès qu'un choix se propose, la tendance naturelle est de diversifier les acceptions. Cessation, abandon, arrêt, fin, interruption, suspension. Croisement, carrefour, rond-point, étoile, patte d'oie... Carnage, boucherie, massacre, tuerie, hécatombe. Même fin de semaine (week-end) et fin de la semaine, au Québec, divergent. Le contexte suscite des variantes, tout élément de sens demande à être mis en actes de parole. Plus la sémantique en tient compte, plus précises se font ses observations.
Marasme court. Les Bourses sont de nouveau enfiévrées. C'est un coup d'accordéon. L'opinion publique se laisse manipuler.
Dans cet emploi, quels sont les sèmes retenus pour accordéon?
1) Instrument populaire. 2) Vibration métallique produite par un soufflet.
3) Nombreux plis. 4) Opérations contraires.
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Réponse Opérations contraires (aspirer - souffler).
Mais Un bal-musette avec accordéon (1). Au son d'un accordéon (2). Ses chaussettes sont en accordéon (3).

Oui, mais... (L'objection des structuralistes.)

La tâche de la sémantique, qui généralise les études de sens, est-elle vraiment réalisable? Comment communiquer des sens si les mots qui le font d'ordinaire sont justement ceux-là, les mêmes que ceux dont on doit étudier le sens?! Comment s'y prendre, à moins de disposer d'autres «mots»? C'est l'objection de la philosophie structuraliste, pour laquelle le sens se referme sur la panoplie des termes disponibles. Le contenu de chaque terme s'oppose à celui des termes sémantiquement les plus proches, qui sont des parasynonymes. Si la sémantique est condamnée à dire le sens de tel ou tel mot autrement qu'en se contentant de dire ce mot, que peut-elle faire (à part le recours au référent, les mises en contexte, des dessins, des images, des démonstrations), que peut-elle faire avec le moyen seulement des mots? Un autre mot que le terme propre pourra-t-il mieux que lui en énoncer le contenu?
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La sémantique est étouffée par ce paradoxe. Elle ne laisse pas de s'y abandonner, à l'occasion. La tautologie est encore admise. Ex. Exubérant: qui a de l'exubérance... Imaginez la tête de l'étranger qui se reporte alors au mot exubérance et trouve : "état de ce qui est exubérant"... On feint d'avoir donné une définition mais on a conservé, avec la meilleure des excuses, la même racine lexicale, qui ne dit rien d'autre, mais qui ne dit rien si on ne sait déjà ce qu'elle dit.

En est-on réduit à répéter le mot en espérant que l'auditeur puisse en saisir, à la longue, quelque chose du sens?
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Les dictionnaires, qui ne sont pas encore branchés sur des banques de données audio-visuelles, ne semblent avoir trouvé d'autre issue pour éviter la tautologie, que de proposer des synonymes, pourtant toujours un peu à côté par définition. Ils les regroupent par acception. Leur quantité semble suppléer à leur défaut essentiel. Ils circonscrivent... Ex.: composer : 1. Agencer, arranger, assembler, combiner, disposer, organiser, confectionner, préparer; 2. Bâtir, créer, écrire, produire; 3. Traiter, transiger, s'accommoder, s'entendre, négocier, capituler, céder. Évidemment, seuls les mots fréquents et de sens assez général peuvent avoir autant de parasynonymes.

Pourquoi un bon dictionnaire est-il farci de citations d'auteurs?
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Justement en vue de montrer des emplois modèles. Pour les classer, on peut les réduire à un petit nombre de groupes. Ex. Exubérant. Végétation exubérante. Une imagination puissante, exubérante. Caractère exubérant. Joie exubérante. Et même: Il est très exubérant. Ce dernier exemple paraît naïf dans sa simplicité mais il sert tout de même à indiquer que le qualificatif peut être attribué à une personne. Cette méthode, jointe à un choix de citations d'écrivains ou d'ouvrages techniques, a l'avantage de ramener à la mémoire les assemblages syntagmatiques, les fragments de chaîne parlée dans lesquels le mot est apparu déjà et où nous allons pouvoir l'employer sans hésitation.

L'inconvénient du système des contextes est le manque d'analyse et de classification. La maison Larousse a tenté d'y remédier en confiant à des équipes d'universitaires la rédaction d'un ouvrage monumental où seraient définies, en précisant les noms de domaine, les acceptions des mots les plus importants. La tautologie est battue en brèche et les définitions gagnent en cohérence réciproque. L'ouvrage fut publié sous le nom de Dictionnaire du français contemporain, mais ne trouva pas bon accueil. On était habitué à recourir au dictionnaire pour les mots rares. Pas pour clarifier l'emploi des termes courants.

Il y a un mais. Les génériques sont cohérents mais les spécifiques sont à peine indiqués... Regardez par exemple comment sont distingués le chien et le chat.
CHIEN: mammifère domestique d'une espèce dont il existe beaucoup de races, élevé pour remplir certaines fonctions auprès de l'homme.
CHAT : petit animal domestique dont il existe plusieurs espèces sauvages.

(Dictionnaire du français contemporain, Larousse, 1966). Cela suffirait-il à les départager si l'on ne savait pas déjà les reconnaître?
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La pensée est toujours un peu en avance ou un peu en retard sur le présent. Elle est dynamique. Une bonne définition est un point d'arrivée que l'interlocuteur reprend aussitôt comme point de départ. Interroger d'autres témoins apporte souvent du nouveau. Ouvrons le Robert. Il est plus explicite.
CHAT : petit mammifère familier à poil doux, aux yeux oblongs et brillants, à oreilles triangulaires, se nourrissant de petits animaux (traditionnellement, de souris qu'il aime à chasser) et de la nourriture que ses maîtres lui servent.

On dirait que le rédacteur aime les chats. Peut-on imaginer un dictionnaire qui pousserait aussi loin toutes ses définitions?
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L'idéal d'élaborer des définitions en genre et espèces, où tout serait rassemblé dans un arbre sémantique univoque, idéal vainement poursuivi depuis l'invention de la logique avec Aristote, reste encore utopique. Les matériaux sont là... dans les dictionnaires analogiques, qui rassemblent les mots par thèmes, sans les définir. Par exemple le récent Thesaurus de Larousse.

L'ensemble du vocabulaire commun, non spécialisé, y est réparti en groupes de quelques centaines de termes, et en sous-groupes d'une dizaine environ, autour d'un seul élément de sens (qui reste implicite). Véridique, par exemple, se trouve avec vrai, avéré, et véritable (mais sans autre indication qui les distinguerait du reste). Veine est à quatre endroits : comme vaisseau sanguin, au sens de "chance", en géologie et en botanique. Ce dernier regroupement contient des mots aussi variés que feuille, graine, stomate, cuticule, lobe, et duvet. Il n'est pas indiqué de terme générique ou de catégorème plus précis que celui de botanique. Le thème des groupes apparentés est fleurs (au pluriel) mais à partir de là, on se trouve dans un tableau général complet de 873 thèmes, ramifiés. Dans ces ramifications, fleurs voisine avec fruits et arbre, champignon et algues sous le générique de plantes. À son tour celui-ci voisine avec animaux sous le générique de la vie. À son tour, la vie partage avec le mouvement et la matière le privilège de diviser le monde et l'on se trouve alors à la base de l'arbre classificatoire, composé de trois troncs: le monde, l'homme et la société. Rien ne dit que d'autres chercheurs eussent opté pour les mêmes idées générales synthétisantes.

Pour arriver aux définitions, ne faudrait-il pas commencer par se donner une classification assez générale?
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Quand on compare deux termes (aussi proches que possible), disons cheval et âne, on a besoin de "différences spécifiques" (la taille, mais il y a de petits chevaux) et de terme "générique" (monture, animal de trait). La classification donne des catégories de classement plutôt que des génériques, mais les termes réunis dans les catégories pourraient avoir un générique commun et cela faciliterait grandement un travail systématique.

D'ailleurs, n'y a-t-il pas des catégories de sens, et si un mot sert de générique, cela ne lui donne-t-il pas un statut sémantique bien différent de celui qu'il aurait comme terme à définir, ou comme terme de classification?
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Certainement. Pour comprendre ce qu'est le sens, il est essentiel de bien le distinguer du mot par lequel on l'exprime, comme de la réalité traitée dans le texte. Il y a une structure interne propre au sens. Chacune de ses parties (appelée sème) devrait pouvoir être exprimée : sème générique, sème spécifique; mais aussi virtuème (sème occasionnel), et classème (sème catégoriel). D'une manière ou d'une autre, au besoin par un dessin, une photo, un enregistrement, un essai sur le terrain, ou simplement une périphrase entre guillemets, tout type de sème devrait pouvoir trouver une forme qui le rende communicable dans son individualité contextuelle.
On lit dans un dictionnaire:
SACRÉ --- Qui appartient à un domaine interdit et inviolable, et fait l'objet d'un sentiment de révérence religieux. SAINT, TABOU, qui est digne d'un respect absolu.
Le mot tabou est ici ______.
1) générique 2) spécifique 3) propriété 4) synonyme
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Réponse synonyme (comme saint et "qui est digne d'un respect absolu".)
Mais ..."qui appartient à un domaine" est un générique; "interdit" et "inviolable" sont des spécifiques; "et fait l'objet d'un sentiment" est un autre générique dont "religieux" est le spécifique.

Règle Entre synonymes, il y a le plus souvent des nuances, soit spécifiques, soit virtuelles (= qui dépendent du contexte).

Analyses sémiques.
Un orphelin qui lasserait ses parents nourriciers risque de devenir abandonnique.
Les sèmes retenus dans cet emploi d'un dérivé d'abandon sont: ___________.
1) Ne plus vouloir exercer un droit.
2) Quitter qqn ou qqch. définitivement.
3) Renoncer à une entreprise.
4) Se laisser aller.
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Réponse quitter sans retour
Mais L'abandon qu'un débiteur fait de tous ses biens à un créancier (1). Abandonner les recherches (3). Parler avec abandon (4).

Et Ils peuvent désigner des genres, des espèces, des classèmes ou des virtuèmes, suivant la nécessité.
Exemple. «Humain» sert de sème spécifique (l'espèce humaine, subdivision du genre «être») mais aussi de générique (le genre humain, subdivisé en races); ou de virtuème (avec faute; quand on dit: l'erreur est humaine).

Ce flottement vient du fait que le contexte joue un grand rôle alors que la sémantique doit arriver à quelque chose d'abstrait. Il faut donc sans cesse marquer des liens avec les contextes possibles (donner des exemples...)
«Donner son avis», «souligner les défauts», «façon de penser», «sévérité» sont les sèmes de critique en face de compliment. Ils sont respectivement _____, _____, _____, et _____.
1) générique, spécifique, virtuème, classème
2) générique, spécifique, classème, virtuème
3) classème, virtuème, générique, spécifique
4) (Autre chose)
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Réponse générique, spécifique, classème, virtuème
SPHINX --- Monstre fabuleux, lion ailé qui tuait les voyageurs quand ils ne résolvaient pas l'énigme qu'il leur proposait. La notion de "divinité égyptienne", est ______.
1) un générique 2) un spécifique 3) un classème 4) une propriété
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Réponse un classème
Mais Monstre: générique; lion ailé: spécifiques; qui tuait etc.: propriété.

Énumérer les sèmes ou éléments de sens permet donc de donner une approximation des contenus éidétiques (d'idées). Il n'est pas inutile d'ajouter ici que ces contenus ne sont pas pour autant nécessairement des abstractions. Les contenus se divisent en objets, idées, sentiments, actions et personnes. Dans tous ces cas, ils peuvent recevoir une définition, qui va comporter un générique et un spécifique.

Sémantique historique.

Les éléments de sens peuvent-ils avoir la durée intemporelle qu'on imagine pour les sciences de type mathématique? Ou bien faut-il envisager le sens "en diachronie", comme dirait Saussure?
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Il est étroitement lié à l'utilisation des mots dans la collectivité. Les modes de vie, les intérêts ne cessent d'évoluer et ce sont les besoins journaliers qui suscitent soit de nouveaux termes, soit encore, le plus souvent, des appropriations (emploi d'un mot ancien dans un sens nouveau).

Outre les types de changement de sens (élargissement, restriction, affaiblissement, particularisation, concrétisation, abstraction, généralisation, métaphorisation, etc.) on pourrait étudier les acceptions en les regroupant par type de besoin, d'idée nouvelle, quand ils ont suscité des mots ou des sens inédits. L'emploi des mots permet de suivre une évolution qui est collective, insensible et imprévisible. (On pourrait la comparer au déplacement des masses d'air dans l'atmosphère.)

Exemple. Aliénation (du latin alienatio, «action d'être à un autre») a désigné un changement d'appartenance familiale (vente d'esclave ou fille qui se marie); ensuite, sous le christianisme, le péché; puis le trouble mental; dans l'optique marxiste, il indique la condition des exploités au point de vue socio-économique; aujourd'hui, sous la mondialisation, c'est devenu l'incapacité où se trouve un individu de résister aux fluctuations des valeurs.

Sens et réalité.

Le sens est visé parfois autrement que par le mot propre : de façon codée ou symbolique (avec un symbole à interpréter), ou encore par des indices. Tentons un tour d'horizon des procédés de fabrication de nouveaux sens, seulement dans les limites déjà établies des mots lexicaux. En connaissez-vous l'une ou l'autre?
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Le sens figuré permet de sortir un mot de son domaine. À l'école d'Aristote et de Quintilien, Diderot et Fontanier en avaient étudiées quatre sortes : la métaphore, la métonymie, la synecdoque et l'antonomase.
"Ma famille toujours considéra les dettes comme la lèpre de l'honneur." (Audiberti)
Ici, lèpre est pris au sens ______.
1) figuré 2) abstrait 3) allégorique 4) évocateur
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Réponse figuré
Mais Le mot relation a un sens abstrait ("lien, à un point de vue donné") et un sens concret ("personne que l'on fréquente").

Et Dans la Bible, le Cantique des cantiques est souvent interprété, non comme un chant d'amour humain, mais dans un sens allégorique: il représenterait des sentiments religieux.
Ou Eux n'aimaient pas le mot concubin, le trouvant sans doute trop évocateur.

La figuration exclut les synonymes et les impropriétés.

On peut «tourner» le sens d'un mot par synecdoque, métonymie ou métaphore. Le lien peut s'établir par l'intermédiaire d'une définition (hyperonymes pour des génériques, hyponymes pour des spécifiques). Telle est la synecdoque.
Pour apaiser sa douleur, le médecin lui a prescrit un ______.
1) antalgique 2) calmant 3) (Au choix) 4) (Selon le niveau de langue)
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Rép. Selon le niveau de langue. Calmant est de niveau simple et a un sens plus général («qui calme, atténue la douleur, l'enlève». Analgésique (antalgique est plus rare) a un sens plus précis: «qui fait disparaître la
douleur».
Règle Le terme technique est doté d'un sens précis. Le terme courant sert souvent de terme général (hyperonyme). Ex.: Alezan / cheval.

La métonymie glisse d'un référent à un autre par connexité dans la réalité. La métaphore saute les limites des domaines contextuels par le biais des connotations (qualités virtuelles).
Balzac (la Femme de trente ans, pl. II, p.681) parle de «l'inévitable moustache noire». C'est que les moustaches étaient bien portées, au siècle dernier. On les appelait «les charmeuses» (Céline, Guignol's Band, p.58).
1) Métonymie. 2) Collation de titre. 3) Dénomination métaphorique. 4) (Autre chose)
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Rép. Métonymie (de la qualité).
Mais Les odalisques (charmeuses comme des odalisques): métaphore.
Expl. Si "les charmeuses" désignait des personnes en particulier, il y aurait collation de titre ou dénomination propre.
Quest. Désigne-t-on qqch. ou qqn par sa qualité? MÉTONYMIE DE LA QUALITÉ
(proc., litt., fém.) Ex. L'élégant alla s'asseoir.
Quest. Qualifie-t-on une personne d'une façon qui lui appartient en propre? COLLATION DE TITRE (styl., fém.) Ex. Charles le Téméraire.
Quest. Représente-t-on une chose par une autre qui lui ressemble par un certain aspect? MÉTAPHORE (proc., une ---) Ex. La girafe ne se laissa pas longtemps marcher sur les pieds.

Si l'on admet que la sémantique doive aller jusqu'à tous les emplois possibles de mots dans des sens qui ne sont pas exactement le leur, les tropes sont plus étendus que l'on ne penserait. Voici quelques cas.

Le sens abstrait consiste à prendre un mot de façon à placer son sens parmi les idées.

Exemple : le pelletage, au Québec. Il consiste, pour un service, à rejeter sur une autre entité administrative les articles du budget qui empêchent d'équilibrer. (Origine: la neige rejetée chez le voisin quand on n'a plus de place dans sa cour.) Inversement, il y a un sens concret, par lequel on vise la chose en tant que chose plutôt que comme idée. Ex. L'intervention de son ami lui avait déplu (si l'on veut dire non le fait qu'il soit intervenu mais le contenu même de cette intervention). Il doit y avoir une erreur, cependant, puisque nous donnons pelletage comme exemple de sens abstrait et intervention comme exemple de sens concret, alors que intervention est plus abstrait que pelletage! Non?
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Il suffit de remarquer que ce sont les mots abstraits qui sont pris dans un sens concret et les mots concrets, dans un sens abstrait!

Le sens élargi est autre chose. Il prend un lexème dans une extension plus grande que la sienne (et donc dans une compréhension plus restreinte). Exemple : offrir du thé en présentant un plateau de tisanes diverses. Le sens est large sans être élargi quand l'extension plus grande est d'usage sans être l'emploi courant. Ex. Ratatiner au sens de "tuer" (depuis 1932, R.) Inversement, le sens limité ou restreint diminue l'extension donc augmente la compréhension. Ex. Ratatouille, qui désignait un plat composé de légumes et viandes mélangés (abrègement rata, masc., parfois fém.) a pris le sens de "ratatouille niçoise", dont les ingrédients sont nécessairement l'aubergine, les tomates, l'huile... Par ailleurs, le sens précis est celui que l'on donne au mot vague (machin); le sens vague, celui dans lequel on prend le mot précis.

Le sens courant s'oppose au sens rare. Ex. Rondement dans Mener les choses rondement (sans perdre de temps) ou dans Marcher rondement (avec régularité). Ici encore, les mots sont à l'inverse des sens puisque c'est le mot courant qui peut être pris dans un sens rare et le mot rare dans un sens courant.

Le sens indéterminé consiste dans l'emploi d'un terme trop général. Ex. Être tout chose. L'indétermination peut rendre un terme louche : faire des choses... (On décode un euphémisme et pense au sens qui serait interdit dans le contexte.)

Le sens premier est un sens d'où les autres découlent. Quel est le sens premier du mot bureau? Meuble, pièce, administration, étoffe de bure?
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Étoffe de bure (au Moyen Âge), d'où tapis de table (13e siècle), d'où meuble à écrire (16e), puis pièce où se trouve un tel meuble (17e), de là service administratif (19e), puis équipe de direction d'une assemblée (20e). Le sens primitif un sens premier devenu archaïque (bureau comme étoffe de bure). On est près du sens étymologique, où un mot est employé dans le sens qu'avait son étymon (son origine lexicale). Celui de bureau est le latin bura ou buris, partie incurvée de la charrue, qui pousse la terre (et on remonterait vers une racine indo-iranienne, le tissage ayant repris un terme agricole).

Comment mieux distinguer l'aube et l'aurore que par leur étymologie (alba et aureus)? Laquelle précède l'autre?
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Aube, du latin alba, «blanche», la première lueur du matin n'étant pas colorée. Aurore, du latin aureus, «doré» : avant de poindre, le soleil colore l'horizon.

On parle aussi de sens fondamental, ou sens dominant, ou sens majeur, pour désigner le premier sens qu'un terme isolé fait venir à l'esprit. Exemple : le goût comme saveur d'un aliment, plutôt qu'au sens de jugement intuitif ou penchant en faveur de qqch.

Le sens accidentel ne surgit que dans une circonstance exceptionnelle. Ex. Ô récompense après une pensée (Valéry) où pensée vise une période d'intense travail intellectuel..

Le sens tropologique est celui qu'on obtient à l'aide des tropes (métaphore, métonymie, synecdoque). Le sens figuré (pour prendre ce terme au sens strict) est le sens métaphorique. Pour le prendre au sens large, c'est un des sens tropologique. Ex. Prendre une ratatouille (pour une raclée). Critère: les sèmes définitoires sont exclus par le contexte. Il ne reste que des connotations à appliquer au cas présent. Il faut donc avoir changé de domaine pour pouvoir faire une métaphore. C'est facile en poésie, où l'on est par définition dans un domaine qui récuse tous les autres.
Un prisonnier espère retrouver bientôt, dit-il, «le soleil de la liberté».
1) Métaphore. 2) Métonymie.
3) (Au choix mais de préférence 1) 4) (Au choix mais de préférence 2)
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Rép. Au choix mais de préférence métaphore. (La liberté, comme le soleil, réchauffe, brille, vivifie...)
Mais Il est au cachot, «à l'ombre» comme on dit par métonymie. Il veut parler du vrai soleil, celui dont on peut jouir quand on est libre. En ce cas, il n'y a plus de métaphore pour soleil mais il y a une métonymie pour liberté.
Déf.. La métaphore représente une chose par une autre qui lui ressemble par un certain aspect seulement (une qualité, une connotation) Ex. un coléoptère à l'abdomen blanchâtre (pour un autobus) Q.E.S., p.11.
Règle La métonymie substitue l'un à l'autre deux éléments qui ont entre eux un rapport de dépendance ni sémantique ni analogique mais pratique, référentiel: le lieu pour les personnes, la cause pour l'effet, le contenant pour le contenu, etc. Ex. Le mois des fleurs (mai). Avoir le nez fin (pour «du flair»), une bonne oreille (pour «ouïe»).

La métaphore est loin d'être exclusive à la littérature. Il suffit d'ouvrir un recueil d'expressions idiomatiques (Par exemple Ernest Rogivue, le Musée des gallicismes, Genève, Georg, 1965; Bruno Lafleur, Dictionnaire des locutions idiomatiques françaises, Montréal, ERPI, 1965).

Il y a une littérature facile où tout est métaphorique... mais ne veut rien dire de précis. Le flou poétique absorbe n'importe quoi. Telle n'est pas la métaphore dans ses origines.
Parlant du travail de l'écriture, un poète s'exclame: «Terre arable du songe!» (Saint-John-Perse). Terre arable est ici ________.
1) une métaphore 2) une comparaison figurative
3) une allégorie 4) un parallèle
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Rép. une métaphore
Mais Le songe est comme une terre arable (comparaison figurative)
Et Songe, terre arable labourée de passions, détrempée des pluies du désespoir. (allégorie: métaphore en plusieurs points).
Ou Pour Saint-John-Perse, le songe est une terre arable; pour Kafka, il est l'enfer (parallèle).

En réalité, la métaphore est d'une précision qui peut surpasser celle des mots propres. Ses sèmes, en effet, sont presque tous exclus par le changement de domaine. Il n'en reste donc qu'un nombre limité.

Une sémantique du texte examinera encore d'autres catégories de sens. Le lecteur est-il incité à chercher une isotopie (un univers référentiel) cachée? C'est qu'il y a un sens symbolique. Ce sens est forcé quand sa vraisemblance est insuffisamment établie. Il peut aussi se donner comme le code d'un autre univers, ritualisé. C'est alors une allégorie. Le sens est allégorique quand un univers référentiel ésotérique donne aux mots un nouveau contenu. Exemple : «Tu seras emporté sur une ligne sinueuse, avec des compagnons qui s'appelleront Défiance. Tu devras t'armer de Patience.»
Mentionnons aussi, avec un logicien, Peirce, un sens symbolique orienté vers la forme, l'iconicité.
Musicien mais humoriste, Erik Satie, a intitulé une série de courtes pièces pour piano de sa composition : Morceaux en forme de poire. Ces oeuvres ont la particularité de commencer très progressivement et d'avoir une finale d'une brièveté inattendue. Leur titre humoristique n'est peut-être pas sans rapport avec leur forme. Or il y a quatre types de signes possibles, d'après le rapport qu'entretient le signifiant avec le signifié. On a affaire ici à ________.
1) un indice 2) une "icône" (Peirce)
3) un symbole codé 4) un symbole à interpréter
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Réponse une "icône" (Peirce)
Mais Cette poire est trop mûre: regarde comme la pulpe est tendre. (Indice.)

Et Ce sont des fruits de catégorie A. (Symbole codé.)
Ou Pourquoi m'envoie-t-il une orchidée? (Symbole à interpréter.)

Définition Icône (parfois sans accent et même masculin), terme de sémiotique: «signe qui a un rapport de similitude avec son référent (un dessin par exemple)».

L'iconicité intéresse naturellement surtout la littérature.

Sens et co-texte.

Une phrase a rarement un sens complet, indépendant du contexte. Le sens plénier est alors une façon plus directe de faire dire au texte davantage qu'il n'en dit. En extrayant la phrase de son contexte, elle prend automatiquement un sens plus étendu. C'est ce qui arrive constamment dans les citations placées en épigraphe, au début d'une oeuvre. Un pas de plus, et on fait dire au texte des choses qui ne s'appliquent qu'à des circonstances inconnues de l'auteur : sens accommodatice.

Ainsi les politiciens ont-ils beau jeu de se faire "avoir dit" des choses les uns aux autres, et les journalistes ont beaucoup de peine à ne pas déformer, à moins de donner assez de contexte, toutes les déclarations. Traduttore, traditore disent les Italiens.

Avez-vous entendu parler de l'équivoque? Du sens "louche"?
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Le sens est louche quand deux des acceptions possibles du mot sont présentes dans le contexte. Ex. Je crois qu'il a cherché à nous obliger (à nous forcer à faire qqch. ou bien à nous rendre service de façon que nous ayons une obligation de reconnaissance envers lui?) Le sens louche peut avoir une de ses acceptions qui serait métaphorique. En ce cas, la loucherie consisterait dans le fait de ne pas éliminer le sens propre, qui conviendrait aussi au contexte. C'est le sens propre réveillé. Ex. Les soldats laissèrent derrière eux une situation cadavérique. Le journaliste avait de l'humour... La catastrophe prend un visage trop appréhendé. En littérature, dans les jeux de mots, dans la conversation, un terme est facilement pris à la fois au propre et au figuré. C'est la syllepse de sens. Ex. Ils vont à la campagne pour se donner de grands airs.

Et pour terminer, le non-sens. Est-il dans le champ des sens à recenser?
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Oui et non. Oui puisque c'est une façon de dérouler le texte. Non parce que ce texte semble ne conduire à rien. Le non-sens, qui a une large place en littérature (la b.d. quotidienne des journaux américains, littérature surréaliste) s'établit quand le texte dérobe au lecteur la possibilité d'en dégager quelque idée. Exemple : ce vieillard se bouchait les oreilles pour ne pas entendre ce qu'un clochard se refusait à dire Q.E.S., p.125. C'est une inversion par négation de ce jeune homme se penchait pour écouter ce que son ami voulait lui dire.

Autres sens.

Le sens collectif est celui d'un mot au singulier qui désigne un ensemble multiple (critère: on peut le qualifier de nombreux). Ex. Le mot population a un sens collectif.

Doit-on penser que l'auteur avait à l'esprit plus qu'il ne pouvait dire? On tentera alors d'établir un sens intentionnel ou un sens visé. Ce dernier sera objectif s'il prend appui sur des indices assez sûrs. Tiré davantage des préoccupations du lecteur, il sera subjectif. Mais parfois le texte tente réellement d'obtenir sur le lecteur certains effets. Ce sera du sens impressif. Ou bien il se contentera de rendre manifestes les sentiments de l'auteur : sens expressif.

Les acceptions du mot sens débordent de beaucoup la stricte logique. C'est qu'il n'y a pas que la logique qui ait du sens. Ce sont nos esprits qui confèrent à tout ce qui nous intéresse des sens qui ne sont autres que ce que nous voulons en faire. Ainsi les deux sens du mot sens sont-ils réunis ("direction" et "signification"). La logique ne fait que mettre dans une forme stricte ce qui dépend de notre liberté personnelle à tout moment.

EXERCICE Ouvrir un dictionnaire et prendre le premier nom de chose rencontré. Lui trouver un catégorème (nom de domaine). Trouver dans le domaine un nom de chose qui divise la première (par exemple matou pour chat, lévrier pour chien ou le contraire (oreille pour tympan, fleur pour orchidée). Vérifier l'extension des deux termes (celle du plus général doit déborder l'autre). Décrire (entre guillemets) ce qu'il peut y avoir de commun à ces deux choses (générique). Décrire ensuite ce que la plus particulière a de distinct (spécifique). Vérifier que la compréhension augmente quand l'extension diminue.

Ex.: Astre. Domaine: astronomie. Division : étoile. Il y a plus d'astres que d'étoiles, effectivement (car il y a les comètes, les météores, les planètes, les satellites.) Sèmes communs à astre et étoile : «corps céleste», «naturel», «visible». Sèmes distincts d'étoile : «producteur d'énergie», «émetteur de rayons». La compréhension a donc augmenté de deux sèmes.


SAISIE DU SENS 1

Sens et réalités. 3

Compréhension et extension. 4

Bases théoriques de la sémantique. 5

Des choses et des mots... vers les idées. 6

Analyses sémiques. 9

Sémantique historique. 10

Sens et réalité. 11

Sens et co-texte. 13

Autres sens. 14

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