.DÉCOUPAGE ET MARQUAGE
On lie des groupes, vient-on de voir, au chapitre des liens, et les emplacements sont ceux des
mots phonétiques, non ceux des mots graphiques. Est-ce exact? Ne faut-il pas aussi, en syntaxe,
préciser les positions des mots graphiques dans le syntagme? Et si les groupes sont les unités
découpées qui s'assemblent pour former les actes de parole, pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi ce
n'est-il pas les mots, comme on fait d'habitude, qui reçoivent des fonctions et des positions?
Les mots graphiques ont pour noyau celui de leur syntagme et il y a bien une syntaxe interne au
groupe, mais c'est toujours la même et elle est ultra simple : lien - morphème - lexème. Autrement
dit, quand il s'agit d'établir le réseau des subordinations (ou des coordinations s'il y en a), inutile
d'analyser le contenu des syntagmes : c'est toujours + *---- , connecteur, actualisateur, noyau
lexical. Par contre, les groupes, eux, ont des fonctions syntaxiques et des niveaux respectifs, ils se
combinent de manière parfois complexe (dans les phrases longues) et ils ont donc une
combinatoire à établir, ce qui fait l'objet nouveau de cette leçon.
On sait que les syntagmes ou groupes syntaxiques sont des unités linguistiques de
dimension intermédiaire entre les mots et les actes de parole. Leur existence n'est pas d'une
évidence aussi forte que celle des mots et des phrases, parce que leur marque est seulement
sonore (allongement de la syllabe finale, en français). En linguistique comme en toute autre
science, l'analyse procède à des découpages qui font apparaître des catégories d'unités. Sont de
même catégorie les unités qui commutent. Les unités à découper sont celles qui peuvent
s'associer à leurs voisines pour former une unité de nature distincte (les syllabes forment des mots,
par exemple). Situons le syntagme parmi les autres types d'unités élémentaires que dégage
chaque type d'analyse (sonore, graphique, morphologique, syntaxique, lexicale...)
Place du syntagme parmi les paradigmes textuels.
Pour délimiter les unités et les définir, on se sert de variantes et on examine leur capacité d'entrer
en composition. Cette méthode a reçu le nom d'analyse en constituants immédiats. Mais par où
commencer? La phrase? L'œuvre entière? Ou par l'autre bout : la lettre, le son?
Comme on ne sait pas, quand on commence, jusqu'où il sera possible de découper en unités plus
petites, ni jusqu'où il sera possible de rassembler en unités plus grandes, le mieux est de
commencer au plus près de soi, et d'y aller ensuite progressivement.
Les constituants immédiats du texte se découvrent au fil des paradigmes. On ne remonte
pas, en linguistique, au-delà de la phrase (car les ensembles de phrases ne dépendent plus de la
langue); et on ne descend pas en deçà des phonèmes et des graphèmes (Voir la synthèse finale,
chap. 19). Prenons une phrase ultra simple comme la Terre tourne. En trouver les constituants,
c'est la découper d'abord en parties qui entrent en relation l'une avec l'autre, non par la longueur
mais par le point de vue adopté pour procéder. On trouve évidemment la Terre et tourne. On
pensera que c'est le sujet et le verbe. Ainsi, la première chose qu'on aura pu identifier, ce sera des
fonctions syntaxiques. Elles appartiennent au signifiant dans ce qu'on appelle sa première
articulation (spécifiquement grammaticale). La seconde serait l'aspect sonore, plus évident et plus
sensible. Vient aussitôt l'aspect graphique, où l'on se place pour un découpage en mots et en
lettres. Les syllabes (graphiques) sont des unités sonores mais des ensembles de lettres. Elles
«se constituent immédiatement» en mots.
Mais pourquoi voir dans La Terre un sujet et dans tourne un verbe, sans tenir compte du
contenu, du sens de ces deux parties, en effectuant le découpage? Ne devrait-on pas considérer,
surtout dans des segments plus longs, des ensembles relevant du paradigme de l'énonciation et
de celui de l'énoncé?
Certes, et leur mise à l'écart dans notre exemple de la Terre est seulement due à la brièveté de
l'exemple. En se mettant du point de vue du contenu, on peut se demander par exemple de quoi
on parle et ce qu'on en dit (thème et propos). On trouve là aussi la Terre comme sujet, non plus
grammatical mais "psychologique" (comme disent certains grammairiens; entendons "sujet du
discours" et donc simplement "logique", et au sens large, vu que veut dire "discours"). Sujet
psychologique est trop dire. Sujet logique suffit.
Le propos, ce qu'on dit de cette Terre, c'est le second syntagme, tourne. Le découpage
obtenu grammaticalement est donc valable aussi pour le contenu et c'est par hasard, à cause de
la brièveté de la phrase, que les parties délimitées coïncident. Si on ajoutait autour du Soleil, cet
ajout prendrait place dans le propos.
Quant à l'énonciation, elle présiderait à un découpage en actes de parole, donc en suivant
la ponctuation, ce qui ne permet pas ici d'avoir plus d'un élément.
Revenons donc au syntagme ou groupe syntaxique. Ce qui nous importe maintenant est-il
de bien comprendre le fonctionnement de la méthode scientifique, celle des constituants
immédiats? Ne serait-ce pas davantage de voir ce que découvre son application à n'importe quel
texte, de découvrir les rouages qui font fonctionner la langue comme système de formes parlantes,
et d'avoir une grammaire opérationnelle?
L'intérêt méthodologique pourrait primer du point de vue de la critique de la recherche mais l'intérêt
pratique l'emporte du point de vue pédagogique et pour les locuteurs et les écrivants.
La délimitation des groupes (groupe nominal, groupe verbal, groupe qualifiant ) nous paraît
le moyen idéal d'aborder l'analyse grammaticale pour trois raisons. 1. Il existe un critère sonore
(le mot phonétique, délimité par sa syllabe finale allongée). 2. Il y a un résultat utile (faire apparaître
les fonctions syntaxiques, essentielles au fonctionnement de la langue). 3. C'est la cellule la plus
constante (tangible ou non, le groupe a un noyau lexical qui contient du sens, des morphèmes qui
en font l'actualisation et un lien).
Nous allons exposer une méthode de transcription. Elle est commode car elle évite les
parenthésages et les arbres (et même de recopier les textes). En effet, l'essentiel peut prendre
place sous forme de symboles graphiques surmontant la ligne imprimée. Avec un feutre de
couleur, on peut procéder aux analyses directement sur une page photocopiée.
Marquage grammatical.
L'analyse est ramenée à quelques signes décisifs et assez parlants. Les limites de syntagme sont
marquées par un trait vertical (partiel pour les limites effaçables ou facultatives). Les mots lexicaux,
porteurs de sens, sont surmontés d'un trait horizontal (unique pour les substantifs, double pour les
verbes, interrompu pour les qualifiants). Les mots grammaticaux ont un crochet (sous forme de +)
s'ils servent de lien syntaxique; ils ont une astérisque quand ils renvoient vers l'environnement réel
(actualisation).
TABLE DES SIGNES GRAPHIQUES POUR L'ANALYSE GRAMMATICALE
DÉLIMITEURS
|
Signe
|
Description
|
Valeur
|
|
|
trait vertical
|
limite de groupe syntaxique
|
/
|
trait oblique
|
limite de groupe syntaxique effaçable
|
\
|
trait oblique inverse
|
limite de groupe syntaxique ajoutable
|
=
|
double trait
|
limite d'acte de parole
|
CATÉGORIES
|
Signe
|
Description
|
Valeur
|
_
|
trait horizontal
|
mot lexical, substantif (noyau)
|
=
|
double trait horizontal
|
mot lexical, verbe (noyau)
|
-
|
trait horizontal interrompu
|
mot lexical, qualifiant
|
.=
|
points et double trait
|
verbe grammaticalisé
|
.-
|
points et trait interrompu
|
qualifiant grammaticalisé
|
*
|
astérisque
|
actualisateur (contact avec l'environnement)
|
=*
|
double trait horizontal avec astérisque final
|
verbe conjugué
|
_*
|
trait horizontal avec astérisque initial
|
nom propre
|
.
|
point (et un autre symbole)
|
grammaticalisation
|
+
|
signe plus
|
crochet (lien syntaxique)
|
-.+
|
point, trait interrompu, plus
|
qualifiant devenu crochet
|
Combinatoire
Le délimiteur est indicé.
|2 * _____ |3+* ===== |4* ___
| 1==== | 2 * __
La foudre qui zèbre
l' azur étonne Nadine.
|
Exemples.
||2 + * ____ |3 *_______ |1 ===== |2 * *____ |
Sous le pont Mirabeau
coule la Seine
|2+ * ______ ||1 === . |2 + . * * ======= * ||
Et nos amours Faut-il qu'il
m'en souvienne
|2* ___ |1 ====* \2 ------- |2 + * _____ ||
La joie venait toujours
après la peine
|
Faites quelques essais sur des phrases de votre choix, et commentez les problèmes que vous
pourriez rencontrer.
On observe d'emblée qu'il existe une forme canonique. Le syntagme est clôturé par son noyau
lexical. Il n'y a pas de marque graphique mais la marque sonore est suppléée instinctivement : elle
consiste, sur cette dernière syllabe, en un allongement vocalique. S'entendre prononcer le texte
est un habileté à acquérir.
Les actualisateurs précèdent le noyau lexical. C'était le contraire en latin (déclinaisons). Il
y a eu, lors du passage du latin au français, un changement qui a complètement modifié le rythme
général de la langue. Le latin était accentué comme le sont encore aujourd'hui l'italien et l'espagnol,
sur l'avant-dernière syllabe (paroxytonisme) alors que le français pratique l'oxytonisme : la syllabe
accentuée est la dernière du groupe, comme dans les langues germaniques, et c'est ce qui a
effacé les syllabes finales du latin, supprimé les déclinaisons et raccourci tous les mots!
La forme typique du syntagme est donc .... -- (un certain nombre de brèves clôturées par
une longue) du point de vue sonore et + * -- (lien, actualisateur, noyau lexical) du point de vue
syntaxique (Après la pluie, pour ta mère, quand tu voudras, s'il saisit).
Pourquoi n'y a-t-il pas toujours de lien en début de groupe et pourquoi la place du lien est-elle toujours au début du groupe?
Le lien syntaxique est toujours placé au début du syntagme parce qu'il doit lier tout ce qui suit à ce
qui précède. Il n'est pas toujours présent car ce lien n'est représenté de façon explicite, par un mot,
que pour un complément ou une complétive. Un lien explicite n'est pas nécessaire pour le groupe
qui sert de noyau à la phrase (typiquement, le verbe de la proposition principale) car ce sont les
autres groupes qui s'accrochent à lui.
Pourquoi ne faut-il pas non plus de lien explicite pour le groupe sujet ni pour le groupe
objet?
Leur emplacement, l'un avant le verbe, l'autre après, en tient lieu. Ces deux syntagmes sont
construits "directement". (Tout ce qui a été appris depuis le début du cours se trouve vérifié dans
la compétence orale et sa transcription symbolique actuelle.)
Les qualifiants aussi trouvent dans leur seul emplacement l'indication du noyau auquel ils
se rattachent. Ils se passent de crochet explicite. Qu'ils soient réduits à un mot grammatical (si,
très) ou étendus à un groupe syntaxique (à la rigueur, pour la peine), ce sont des «autocollants»
si l'on peut dire.
La différence relevée ici entre le qualifiant simple morphème, le qualifiant lexical et le
qualifiant groupe est-elle nécessaire? Ne suffit-il pas de considérer le sens et la fonction, sans
s'embarrasser de la dimension?
La dimension importe pour dégager le sens et la fonction car c'est elle qui est audible et visible. Si
on la laisse de côté, on écarte ce qui permet de vérifier le sens et la relation des parties entre elles.
Ainsi, on croit que la place du qualificatif est une pure question d'usage ou de norme alors qu'elle
a un sens qui suffit à expliquer la différence entre un homme grand et un grand homme (Voir la
leçon précédente, sur les emplacements). Certaines évolutions trouvent aussi dans l'analyse de
la dimension (morphème, lexème, syntagme) leur explication. Un syntagme peut se réduire à un
mot voire à un morphème.
Que le sujet soit un morphème permet de le placer dans le noyau de la phrase. Comparer
: 2Quand il court 3après sa queue, 2Médor 1nous fait rire avec 2-3Quand Médor 2court 3après sa
queue, 1il nous fait rire. Quelle différence pouvez-vous observer?
Rien que de régulier sauf quand une subordonnée a un sujet qui n'est pas morphème mais groupe
nominal (Quand Médor court...) À ce moment-là le lien de court, ne pouvant rester au début de son
groupe, du fait de l'insertion du groupe sujet (Médor) dans le groupe verbal, passe dans le groupe
sujet, qui a donc deux niveaux à la fois (ici 2 et 3). Le premier concerne le lien et le verbe qui suit
plus tard; le second concerne le sujet du fait que, n'étant pas un morphème, il ne peut se glisser
devant le verbe sans devenir lui-même un groupe, et donc une autre mot phonétique.
C'est un bel exemple de la complication que peut créer la dimension d'un actant. Mais cette
complication est plus dans la façon de l'expliquer que dans le fait lui-même, que tous les usagers
maîtrisent facilement dès l'enfance. Le sujet annonce tellement son verbe que l'on n'a aucune
hésitation à analyser le lien comme celui du verbe qui suivra.
Le syntagme réduit.
Le syntagme se prête à des réductions. Le qu'en-dira-t-on et le je ne sais quoi (de l'espagnol: un
no sé qué) sont des exemples classiques du syntagme devenu lexème noyau de groupe nominal.
Vu que la syllabe finale reste en fin de groupe, le délimiteur reste identique, mais comme, au début
du groupe, il y a un morphème qui actualise ce qui le suit comme nom, il s'opère une translation
(changement de catégorie grammaticale). Le syntagme actualisé devient mot lexical (d'où les traits
d'union).
Suffit-il d'un article pour opérer une translation?
Dans ce cas-ci, en effet. Mais pour passer d'un nom à un verbe, ce serait la finale verbale qui
servirait de marque (la solution - il la solutionne). Pour revenir au syntagme réduit, avec translation
(changement de catégorie), on peut observer que la délimitation finale est très forte et que les
autres sont faibles. L'allongement oxytonique est d'autant plus fort que le groupe est plus complet.
||1=====* |2* ____/3 + ____|3 +* _________* \4 + ________ ||
Survint la mise à jour des dispositifs de sécurité.
|
Le demi-trait vertical qui sépare mise de à jour et dispositifs de sécurité indique une limite effacée
par réduction. Ces deux compléments, en effet, ne sont pas actualisés (absence de *). Ils ne sont
donc pas installés dans l'environnement référentiel, ils n'ont de valeur que conceptuelle, ils
qualifient sans plus. C'est du reste la raison pour laquelle ce type de construction préfère le
singulier (un mur de brique). Ainsi atrophié, le groupe nominal perd de sa substance référentielle
et n'étant plus qu'une idée qualitative, il se rapproche de son pivot, il tente de faire partie du groupe
dont il dépend. Ce phénomène reçoit une marque sonore. On peut en faire la vérification en le
prononçant à haute voix sur un ton normal. Le u de mur est plus court que le i de brique. La limite
entre les deux groupes s'efface presque entièrement. De même le ou de jour est plus long que le
i de mise. On parlera de limite «effacée». Les deux groupes n'en font en quelque sorte plus qu'un,
le second jouant un rôle d'épithète, plus ou moins détachable encore si on le souhaite, mais cela
dépend des cas. Et l'on pourrait se dispenser de les indicer pour la combinatoire syntagmatique.
Pour dispositifs de sécurité, vu la longueur, le détachement des deux groupes est plus
vraisemblable. Les deux prononciations sont possibles, et quelque chose d'intermédiaire est le plus
probable. On parlera de limite facultative plutôt que de limite effaçable. Pour marquer
graphiquement que la délimitation est facultative, on ne garde que la moitié supérieure du trait.
Quand elle est effacée, on trace la partie inférieure du trait. (V. leçon 2, fouiller sur le mot sabre)
Ces deux marquages ont leur intérêt car ils permettent de marquer des limites qui peuvent
disparaître plus ou moins selon les cas. Une limite facultative a plus de chances de rester. Une
limite effacée a plus de chances de ne pas rester. Il y a moyen de dire dispositif de sécurité sans
prendre d'appui sur une syllabe avant le é mais dispositif de sécurité est plus vraisemblable. Il y
a moyen de dire mise à jour mais mise à jour est plus normal.
Voici un cas de syntagme réduit et ensuite étendu à nouveau (la langue s'amuse). Le latin
hoc die, «ce jour», complément de temps, était devenu adverbe de temps: hodie. Au Moyen Âge,
hodie passe à hui. De syntagme, il était donc passé à lexème puis à morphème qualifiant. On
éprouve alors le besoin de l'étoffer dans certains contextes. Ainsi naît au jour d'hui au XIIe siècle.
On dispose ainsi, de nouveau, comme en latin, d'un syntagme. Il va remplacer hui et donc se
trouver à nouveau réduit à un qualifiant, à un mot lexical, et on l'écrit alors en un mot, ce qui
marque cette intégration. L'allongement de la dernière syllabe, qui avait disparu de hui, est
réapparu en fin de groupe (au jour d'hui). Il redevient facultatif quand on l'écrit en un mot.
Entre le syntagme autonome complet (au jour d'hui) et le syntagme réduit à une partie de
syntagme, à un mot dont le délimiteur est effacé (hui), il y a donc un intermédiaire, un syntagme
semi-autonome, dont le délimiteur est facultatif (C'est aujourd'hui dimanche).
Faut-il parler de limite effaçable ou facultative? Est-ce la partie supérieure ou inférieure du
trait vertical qu'il convient de tracer? Comparez (à voix haute et intelligible) les trois formulations
suivantes:
Le français, qui aujourd'hui est parlé par des millions d'Africains, ...
Le français qui est parlé aujourd'hui par des millions d'Africains ...
Le français, aujourd'hui, est parlé ...
Dans Le français, qui aujourd'hui est parlé par des millions d'Africains... le i est long ou court mais
de préférence court, puisque l'adverbe est placé dans le groupe verbal. La limite est facultative, on
peut l'ajouter (partie inférieure du trait). Dans Le français qui est parlé aujourd'hui par des millions
d'Africains, le i est long mais il pourrait à la rigueur être court. La limite est effaçable (partie
supérieure du trait). Dans Le français, aujourd'hui, est parlé etc., la limite est celle d'un acte de
parole (double trait vertical).
On voit que c'est la durée sonore et l'autonomie du segment qui est soumise à des
contractions ou à des expansions selon l'usage qui en est fait dans le texte.
La langue familière, plus récemment, a senti le besoin de marquer le retour à un syntagme
autonome : au jour d'aujourd'hui. Cette expression est toujours qualifiante et poursuit à nouveau
l'objectif d'étoffer, malgré le ridicule des répétitions.
Voici un cas de syntagme réduit encore plus fort et extrêmement courant. Faites le
marquage de la phrase suivante : Je me demande au fond ce que je représente pour eux.
||1* * =====* |2 -------|2 * \3 +* * ====== |4 + * ||
Je me demande au fond ce que je représente pour eux.
|
Il est difficile de penser que ce, syllabe atone, puisse être syntagme. Mais comment le
rattacher à Je me demande quand il en est éloigné, et comment en faire un groupe quand il n'est
même pas tonique? Allonger le e? C'est possible mais peu naturel (d'où la limite effaçable, indiquée
par la portion inférieure du trait vertical). Il faudrait pouvoir le considérer comme attaché à que je
représente, ce qui, du point de vue sonore, est bien le cas. Mais ce est l'antécédent de que, relatif,
connecteur, qui devrait donc être un début de syntagme. Comme antécédent, ce devrait appartenir
à un groupe antérieur distinct. Alors, que se passe-t-il en réalité? Plutôt que de faire de ce un simili-syntagme, réduit au strict minimum, ce qui permet de le joindre à la relative qui s'accroche à lui,
on pourrait envisager de faire de ce que un relatif libre, puisque le que relatif semble avoir absorbé
son antécédent dans le groupe subordonné.
Se trouvent dans cette situation tous les à ce que, de ce que, pour ce que, dans ce que,
sur ce que, avec ce que, etc. Ils sont à cheval entre deux groupes, constituant eux-mêmes des
groupes effacés par le peu d'allongement de leur e final. Cette fois, il y a deux connecteurs mais
la prononciation les englobe dans le même mot phonétique donc dans le même groupe. On peut
envisager de considérer l'ensemble comme grammaticalisé en un seul connecteur (qui devient lui-même groupe facultatif car on peut allonger le e de que).
Quelle différence faites-vous entre par ce que et parce que ?
Il n'y a pas si loin de «Je suis ravi par ce que tu annonces, la fin de nos ennuis» à «Je suis ravi
parce que tu annonces la fin de nos ennuis». Cette fois le e sera encore plus facilement élidé, car
le groupe par ce n'est plus seulement effaçable; il est effacé.
Dans le cas de parce que (et la graphie le rend clair), un syntagme a été réduit, mais il n'a
pas été totalement absorbé : c'est lui qui a absorbé le relatif, et il est devenu lui-même connecteur.
Il introduit une nouvelle catégorie. On distingue parce que et par ce que par la graphie plus
encore que par la prononciation. Ils ne sont pas mécontents parce que tu parles : ils sont fâchés
par ce que tu dis. Avec par ce que, le groupe du verbe demande un objet au lieu d'être le
complément de cause, et c'est le relatif qui absorbe son antécédent, devenant semi-relatif. Mais
il y a réduction à un seul groupe dans les deux cas.
Le syntagme réduit garde-t-il son allongement de syllabe finale? Comparez Une très jolie
fille et Une fille très jolie.
Le qualificatif est un excellent exemple de possibilité de réduction du syntagme. Précédant le nom,
il devient partie intégrante du groupe nominal. Le i de jolie est alors plus court que celui de fille.
C'est l'inverse dans Une fille très jolie. Le i est plus long. De plus, il y a un allongement facultatif
dans Une très jolie fille; il devient effaçable dans Une jolie fille. Cela s'entend. On voit pourquoi :
de deux groupes, on est passé progressivement à un seul. On pourrait aussi allonger très mais ce
serait un accent expressif.
Voici un cas de réduction qui s'explique par des raisons historiques mais qui s'est maintenu
pour des raisons à la fois sonores et syntagmatiques.
||1* == \2--- \2 + --- ||
Cela est bel et bon.
|
À comparer avec :
||1----- /2 * ---- |2+ * ------ ||
Voilà du beau et du solide.
|
Pourquoi bel, la liaison, devant et, dans le premier cas et pas dans le second?
On dit : locution! Facile à dire... Il y a une explication, et assez simple. Les deux qualifiants
coordonnés sont attributs mais, dans le second cas, ils sont substantivés (par du). Ils forment donc
des groupes distincts. Beau comme syllabe finale de groupe est accentué. Il ne se lie plus, donc
il n'a plus besoin de prendre la forme bel, qui permet la liaison. On le savait rien qu'à prononcer les
deux phrases. Bel a gardé sa forme médiévale pour pouvoir faire la liaison, parce qu'il n'y a qu'un
syntagme (avec deux noyaux qualifiants). On lie deux noyaux dans un seul groupe. Avec beau,
il y a deux groupes.
Les verbes aussi peuvent subir une réduction, particulièrement le verbe être, souvent
ramené à un rôle de copule. On aurait tort de l'analyser comme mot lexical, bien qu'il reste noyau.
Divisez et marquez : Quel est donc ce garçon dont Myriam est tellement entichée?
||2 * == \2 --- |3 * _____ |4 +* /4*____ | =.=3 |5 ------- \4 ------* ||
Quel est donc ce garçon dont Myriam est tellement entichée?
|
Il y a ici deux occurrences du verbe être en route vers la délexicalisation, la première moins
que la seconde car un allongement de sa voyelle est presque attendu.
Remarquer la numérotation des groupes. Dans son principe, la démarche est celle-ci. On
commence par isoler le pivot, qui est souvent le verbe de la proposition principale. Ce sera le
niveau 1. Si le sujet et l'objet sont des syntagmes, ils reçoivent le niveau suivant (2), et ainsi de
suite.
Un obstacle fréquemment rencontré lors du découpage est la façon de traiter le sujet du
verbe. Il n'est pas dans le même groupe que le verbe quand il est lui-même un groupe. Mais le
sujet n'est pas toujours un groupe (même la grammaire transformationnelle en conviendra bien
qu'elle appelle groupe nominal la fonction de sujet). Que le sujet soit souvent un simple
actualisateur du groupe verbal modifie le découpage. Exemple.
Marquez les phrases suivantes et comparez-les.
17
Il vit encore. Petit bonhomme vit encore.
Tant qu'elle flambe, il vit.
Tant que l'allumette flambe, petit bonhomme vit encore. |
||1* == /2----- ||2 --- _______ |1=== ----- ||
Il vit encore. Petit bonhomme vit encore.
||2--- + * ===== ||1* === ||
Tant qu'elle flambe, il vit.
||2--- + 3* ________ /2=====||2 ---- _______ |1 === ----- ||
Tant que l'allumette flambe, petit bonhomme vit encore.
|
Deux remarques. Le sujet n'est numéroté que s'il forme un mot phonétique. Le connecteur du
verbe est numéroté comme s'il appartenait au groupe du verbe (tant que =2) même s'il appartient
en fait au groupe du nom, qui reçoit ainsi une double numérotation.
Découpage du sujet.
Voilà donc comment découper le sujet d'une proposition subordonnée. S'il est pronom, il est dans
le groupe du verbe. On partira quand tu regarderas l'heure (1,2,3). Mais s'il s'étoffe? On partira
quand Myriam regardera l'heure. On partira quand la fille de la voisine qui est en face de toi
près de l'escalier du gymnase regardera l'heure.
(1, 2-3, 2)
(1,2-3,4,4,5,5,6,2)
Il est logique de considérer quand comme le lien de regardera et de le mettre au niveau 2 comme
regardera puisqu'il devrait en fait partie. À moins de l'indiquer en faisant de lui un groupe distinct
(allonger le an, ce qui donne 1,2,3,2 et 1,2,3,4,4,5,5,6,2)? Mais un lien n'est pas un groupe et il doit
aussi être vu comme attaché au sujet puisque telle est la prononciation. Il faut bien découper selon
la prononciation () mais il faut aussi marquer en donnant le niveau du lien. La seule solution
est donc de le marquer doublement, en sachant bien que de telles marques annoncent un noyau
de même niveau, le verbe qui suit. Cela donne 1,2-3,2 et 1,2-3,4,4,5,5,6,2. Ainsi le lien sera-t-il à
son niveau, qui doit être celui du verbe afin de rassembler tout ce qui vient avec lui; en même
temps, on verra qu'il a été placé devant le sujet.
Pourquoi cette complication? Pourquoi ne pas traiter tous les sujets de la même façon?
L'objectif du découpage est de tracer une image aussi exacte que possible de la réalité. Or le sujet
morphème est dans le groupe du verbe et domine avec lui ses autres compléments. Le sujet
syntagme prend sa place. Il se trouve donc dans le groupe verbal. Étant syntagme, il ne peut en
faire partie. Il le disjoint donc. On trouve devant lui le lien du groupe verbal et cela ne dérange
nullement car il n'y a pas de lien explicite pour le sujet.
Les choses étant telles, il ne reste qu'à trouver le mode de transcription le plus conforme.
On peut feindre que le lien appartient au groupe sujet (comme fait souvent la prononciation) ou le
détacher (comme on prononce pour être plus clair).
Les actants sujet et objet pouvant se trouver à une distance considérable, et vu qu'ils ont
le même niveau, ne serait-il pas utile d'indiquer, outre le niveau, qu'il s'agit de tel ou tel actant?
Quand les actants sont à une certaine distance les uns des autres (on pense aux phrases de
Proust, évidemment), on pourrait ajouter à leur indice de niveau un petit 1 en indice supérieur, qui
voudra dire «premier actant». Un petit 2 au terme suivant de même niveau, s'il est objet, signalerait
le second actant, et ainsi de suite pour le 3e et le 4e. Exemple.
|2*____ |1* ====* | 2+ 31* ____||4 +* =.=.=* ===== |6 ------- \ -.-. ---5 \
Jacques s'aperçut que sa mère, qui était partie beaucoup plus tôt
6+ * ||2 =.=.=* /3 === |32 + ==== |4 * _____ ||
que lui, avait oublié de signer l'imprimé.
|
Ambiguïté de c'est.
À propos du verbe être employé comme copule, il n'est pas inutile de souligner ce qui distingue
deux formulations apparemment voisines, l'emphasis (dont il a été question dans les leçons
précédentes) et le tour «présentatif».
On se rappelle que le présentatif consiste à présenter quelque chose ou quelqu'un. Ex. :
Charles, voilà Henri. L'emphasis, elle, consiste à prendre une partie de la phrase et à l'entourer de
c'est... qu... en sorte qu'elle devienne le propos d'un acte de parole prédicatif. Ex. Je parle de la
liberté devient C'est de la liberté que je parle. On détourne un groupe syntaxique au complet, de
la liberté, et on le place en évidence avec c'est. Le reste de la phrase est alors rattaché à ce noyau,
principal, nouveau, détachant le propos du thème (d'où son nom d'emphasis). On se sert pour cela
du relatif que (ou qui).
Faites l'emphasis de Mon camarade a été tué et de J'avais un camarade.
C'est mon camarade qui a été tué. C'est un camarade que j'avais.
C'est ________ liberté d'apprendre, de découvrir le réel ______ je parle!
1) de la ..... que 2) la ..... dont 3) (N'importe) 4) (Autre chose)
| 22 |
Réponse C'est de la liberté ..... que je parle.
Mais ça, c'est la liberté dont parle Grand'Maison.
Règle. Dont est le relatif d'un complément construit avec de. Pour isoler par un tour emphatique, on conserve de.
Ex. Je parle de la liberté. C'est de la liberté que je parle.
Mais Dans le tour présentatif, on a une relative et on emploie dont. Ex. Voilà, c'est la liberté dont je parle. |
Voilà la liberté dont je parle! (Je la reconnais.) Le sens est-il le même que dans C'est de la liberté
que je parle! (Et non de la morale conventionnelle)?
Non, pas exactement. On observe toutefois la proximité des tours. En remplaçant Voilà par C'est,
la confusion est difficile à éviter. Il ne reste comme différence que la place de la préposition.
Prenons Charles, c'est Henri. (Présentatif.) Pour avoir ici une emphasis, il faudrait partir
d'une phrase avec verbe. Je te présente Henri deviendrait C'est Henri que je te présente. On n'est
plus très loin du présentatif : Charles, c'est Henri, que je te présente officiellement.
Heureusement, les graphiques rendent compte de la différence assez clairement.
||1* == |2* ______ /3+* * ==== ||
C' est la liberté dont je parle.
||1=.= /2 + * ______ |2 +* * ==== ||
C'est de la liberté que je parle.
|
La différence n'est pas seulement dans la place du de, qui, en faisant aussi partie de dont, se
retrouve dans la relative. Elle joue aussi sur la longueur du c'est, grammaticalisé dans l'emphasis.
Il est écourté, avec une limite de syntagme effacée, simple outil syntaxique, ce qui entraîne une
grammaticalisation du Ce initial. Le premier tour, qui est le présentatif, allonge est et son ce désigne
bien quelque chose. Le second tour écourte est et son ce n'est plus rien que le sujet requis par le
verbe, il perd sa valeur démonstrative de quelque chose de réel plutôt que de textuel (d'où
l'absence d'astérisque). On remonterait à : je parle de la liberté, avec une mise en évidence de la
liberté comme prédicat. Dans le présentatif, au contraire, avec un verbe être et un démonstratif
c' qui conservent leur peine valeur, on paraphraserait: la liberté dont je parle, c'est ça!
Là, là où, là que.
La distinction qui vient d'être faite permet d'expliciter une confusion très répandue, entre là où et
là que. On entend: Sauheid, c'est là où s'est déroulée toute mon enfance. Ne faudrait-il pas dire
plutôt c'est là que? N'est-ce pas une emphasis?
Il faudrait c'est là que. Nulle relative, en effet, mais une emphasis, dans ce contexte. Mais: Sauheid,
où s'est déroulée toute mon enfance, c'est là. Ou encore: À Sauheid, là où s'est déroulée toute
mon enfance, nous arriverons dans l'après-midi. Cette fois, l'emphasis est en concurrence avec
une simple relative.
Incidemment, quand faut-il dire où sans plus, et non là où? Dirait-on ...c'est où s'est
déroulée? Et préférez-vous là où? Voici du contexte, emprunté à Silvio Pellico : Pensée engendrée
en prison, (là) où toute incommodité a son siège?
||1 ____\2 ------* |3 + ____ ||3* 4+* 51* _________ |4=.= 52* ___ ||
Pensée engendrée en prison, là où toute incommodité a son siège.
||1 ____\2 ------* |3 + ____ ||4+* 51* _________ |4=.= 52* ___ ||
Pensée engendrée en prison, où toute incommodité a son siège.
|
Différence plutôt mince! Avec là, un pronom de relai, dépendant de engendrée, donne à la relative
un antécédent plus concret que le groupe qualifiant en prison. Le style est donc plus soigné mais
le sens ne diffère pas.
Participe passé ou qualifiant?
Mais abordons une autre ambiguïté concernant le verbe être. Que penser de l'exemple suivant,
tiré de l'Étranger de Camus (p.74).
|| * _______ | =.= ===== /+ _______ \ ------ ||
Le plateau était couvert de pierres jaunâtres.
|
Faut-il voir était comme simple auxiliaire de la voix passive ou comme la copule d'un qualificatif
attribut?
Deux analyses s'offrent à nous. La première voit un groupe verbal, avec un lexème couvrir,
conjugué; la seconde voit un verbe être, non comme auxiliaire mais comme copule, introduisant
un qualificatif (Le plateau était comment? Couvert de pierres). Dans cette analyse, couvert n'est
pas le participe passé de couvrir mais un «adjectif (qualificatif) verbal (tiré d'un verbe)». Ce n'est
plus une voix passive mais une voix qualifiante. La distinction est bien implantée dans la langue
puisque si c'était le participe présent, il ne s'accorderait pas, alors que comme qualificatif il
s'accorderait.
Comment trancher? En faisant appel à son sens inné de la grammaire! Le verbe couvrir
étant un verbe d'action, s'il est mis au passif, c'est pour donner le résultat de cette action. Le
plateau a donc "subi" de la part des pierres une action, le recouvrement. L'interprétation est difficile
à défendre sur la plan géographique. Ces pierres jaunâtres ne sont pas tombées du ciel. Il est
probable qu'elles sont plutôt restées là après que le grain le plus fin ait été enlevé par l'érosion. En
tant que verbe, couvert ne peut donc être employé ici que par figure, bien que cet aspect figuré soit
entré dans l'usage (comme on dit que les maisons s'accrochent au coteau).
En revanche, en tant que qualificatif (un ciel couvert, un terrain couvert) le mot aurait un
sens plus spécifique, qui dépend du contexte. On arrive alors à l'idée que le plateau a une telle
quantité de ces pierres qu'on ne voit plus que celles-ci. Si Camus avait voulu dire cela, il aurait pu
insister en mettant: recouvert. Conclusion: le cliché de l'image verbale est sans doute
l'interprétation la plus proche de la pensée (grammaticale) de l'auteur.
Un cas très voisin se rencontre quelques lignes plus loin. Marie s'amusait à en éparpiller
les pétales à grands coups de son sac de toile cirée. Cirée est-il le participe passé ou l'adjectif
verbal?
Comme il n'y a pas de conjugaison, la réponse paraît claire. Elle ne l'est pas tant que ça puisque
c'est le type de problème qu'il faut résoudre pour éviter l'accord des participes présents.
Posons donc la question. Cirée est-il une qualité de la toile ou le résultat d'une action
exercée sur celle-ci? Les deux, dira-t-on. En soi, sans doute, mais dans le texte, dans l'esprit de
l'auteur, dans celui du lecteur? Il nous semble que les deux mots forment un tout. On dit même:
la toile cirée pour "la nappe en toile cirée". Le syntagme est donc une locution qui peut même
former un mot composé. En ce cas, plus personne ne songe un instant au procédé de fabrication.
Camus vise donc le matériau du sac sans plus. Et cirée est un qualificatif (dont le participe passé
du verbe cirer n'est que l'origine lointaine).
Connecteurs en plusieurs mots.
Les locutions prépositives sont-elles des syntagmes? Comment marquer (et prononcer) Du côté
de chez Swann?
On peut considérer trois solutions.
||+* ___ | + + *____ ||
Du côté... de chez Swann
(Deux groupes rythmiques de trois syllabes, deux brèves une longue : des anapestes.)
||+* ___ / + + *____ ||
Du côté de chez Swann
(Idem mais avec une fin de syntagme estompée, limite facultative, évanescente.)
||+* ___ \ + + *____ ||
Du côté t' chez Swann
(Le de est implosif et passe donc à la consonne sourde, t. Il s'agit de langage
parlé. Un seul groupe, de cinq syllabes. Effacement du délimiteur.)
|
La première est littéraire; la seconde, soignée; la troisième, courante. S'agit-il de trois
prononciations distinctes pour un même phénomène grammatical? Nous pensons que non.
Imaginons une question comme Était-il chez Swann? On répond: Non, mais du côté... de chez
Swann. L'accent antithétique, marque du propos, est sur é. Il faut adopter dans ce cas la solution
1. On peut dire que le mot côté a toute sa valeur lexicale. Il y a réellement deux groupes
syntaxiques.
Qu'un critique parle du chef-d'œuvre de Proust, en revanche, et c'est la solution 3. Un seul
groupe. C'est le titre de l'œuvre. Il y a réduction. Par ailleurs, la réduction partielle, solution 2, est
sans doute le cas le plus courant pour les locutions prépositives.
S'il y a trois solutions distinctes de prononciation, c'est parce qu'elles différent aussi
grammaticalement. En 1, le côté est lexical et donc noyau. En 3, groupe nominal se réduit à un
connecteur. La solution 2 est intermédiaire et témoigne de la transition de syntagme vers lien.
Les liens syntaxiques minimaux, à, de, ont souvent besoin d'être précisés et certains
lexèmes sont requis à cet office: grâce à, au lieu de, lors de, jusqu'à... En de tels cas, ils sont
souvent réduits, autant que faire se peut, donc dépourvus d'actualisation (question rendement...)
ou dotés de trait d'union qui en renforcent la cohésion inanalysable (en dépit de, par-devers).
Arrêtons-nous à ces liens qualifiés. Faites le marquage de la phrase suivante.
29 Je me tiens debout, près de la terrasse, tournant le dos aux Alpes. |
||* * ===== \ ---- || --- /+ * ________ || =======* / * ___ \ +* *____ ||
Je me tiens debout, près de la terrasse, tournant le dos aux Alpes.
|
Entre ses deux virgules, près de la terrasse, est un acte de parole distinct. De est un début de
syntagme et près peut recevoir un relatif allongement (par rapport à de). Il y a donc une limite,
mais facultative. On analyse près comme qualifiant du verbe, il modifie tiens. En ce cas, on voit
le reste comme complément du qualifiant.
Mais on peut aussi considérer que près de est à réunir en constituants avant tiens près, en
sorte que près et de soient immédiats. De là a jailli l'idée qu'il existe des locutions prépositives.
Il est certain que dans Je me tiens près de la terrasse, il est plus facile de couper entre tiens et
près qu'entre près et de. (On ne dirait pas: Je me tiens près... de la terrasse, à moins de raisons
un peu spéciales.)
La solution est dans le e muet de de. Si on l'élide, près de est nécessairement un lien intial
de groupe. Près d'la terrasse ne peut faire qu'un mot phonétique.
Vérifions à partir d'un cas analogue : La plage n'est pas loin de l'autobus. Vaut-il mieux
couper après pas ou après loin? Laquelle de ces deux syllabes est la plus longue? Voit-on la
différence de sens?
Deux possibilités. Ou bien loin de est un connecteur (alors il ne peut pas être attribut), ou bien il
faut faire de loin un adverbe (de lieu), mais cela redonne alors à de sa pleine valeur (= depuis).
|| * _____ |-.- === -.- --- | + * _______ ||
La plage n' est pas loin de l'autobus.
|
Cette éventualité est extrême car elle revient à séparer loin et de. Il serait équivalent de dire: De
l'autobus, la plage n'est pas loin. On pense qu'il s'agit d'un des arrêts. Autrement, on attendrait
plutôt en autobus... Les deux solutions ont leur inconvénient mais ils sont très peu visibles et
Camus ne voulait pas faire parler Meursault avec trop de soin. Pour la plupart des locuteurs, la
plage est loin et loin de l'autobus se disent, donc les deux vont aussi ensemble. Confusion
caractéristique d'un niveau de langue (peu soigné = familier).
Syntagme et correction.
Le découpage permet de résoudre des problèmes d'accord. Dans la phrase : Ce type de langage
très particulier ne sera pas étudié ici, faut-il des s à langage et à particulier?
|| * ____ \ + _______ | -.- ---------- | -.- =.=.= -.- ====== --- ||
Ce type de langage très particulier ne sera pas étudié ici.
|| * ____ | + ______* \ -.- -----------* | -.- =.=.= -.- \ ====== --- ||
Ce type de langages très particuliers ne sera pas étudié ici.
|
Avec s, des langages sont visés (les langages réactifs, en l'occurrence). Impossible dès lors de
laisser tomber la voix sur de langages. Par contre, au singulier, le segment suivant passera sous
la forme d'une parenthèse accrochée à type. On est de nouveau en face de deux solutions de sens
distinct. La seconde est naturelle; la première demande un allongement net de type et une marque
atténuée à la fin de langages. Le tour est un peu forcé et plus écrit que parlé. Séparer les deux
idées serait plus net. Ce sont des langages très particuliers. Ce type ne sera pas étudié ici.
Placer les indices de combinaison serait révélateur aussi. Il y a quatre niveaux si l'on opte
pour s. Cela donnerait 23412. Il n'y en a que trois si on choisit le singulier : 23312 puisque
particulier est alors accroché à type.
Et le verbe, peut-il parfois ne pas s'accorder? Notamment, faut-il accorder importe dans
la phrase suivante : Qu'importe(nt) les difficultés?
||* ========* | * ___________* ||
Qu'importent les difficultés?
||* =.=.=.=.= \ * ___________* ||
Qu'importe les difficultés!
|
En faisant l'accord, on prend le verbe comme noyau de difficultés, sujet. Le o subit un allongement.
On a deux syntagmes bien délimités. Toutefois, il est courant de considérer Qu'importe! comme
une sorte de locution verbale analogue à voici ou voilà. Il joue le rôle d'un verbe mais il n'en est
plus un. L'invariabilité est requise pour indiquer cette évolution. La limite du groupe s'estompe.
L'allongement du o devient peu net. On assiste à une réduction syntagmatique du noyau. Le verbe
importer s'est délexicalisé. On pourrait parler à son sujet de qualifiant-noyau. Échouant à nommer
le processus, les grammaires parlent de locution verbale. La notion de qualifiant-noyau n'en est pas
moins bien attestée (Heureusement que... etc.)
À propos de noyaux qui se réduisent, voici un cas plus net encore, où il en disparaît un,
purement et simplement. Mais a-t-on le droit d'élider le noyau d'un syntagme? Que pensez-vous
de la phrase suivante? Comment faire le marquage?
33 Je voyais décroître les ombres. Une de temps en temps tombait. (Victor Hugo) |
|| * =====* \ ======== |* _____* || * |---------------- | ====* ||
Je voyais décroître les ombres. Une de temps en temps tombait.
|
Est-il normal que la fonction de sujet soit remplie par l'actualisateur du groupe nominal (Une)? On
devrait le transformer en syntagme en lui adjoignant à son tour un actualisateur (L'une). Pourquoi
Hugo ne l'a-t-il pas fait? Sa phrase passe bien parce que le noyau manquant est tout proche
(ombre), que la séparation d'avec la suite est nette (un long qualifiant, de temps en temps, qui ne
peut servir de noyau) et que la trace de noyau est nette (il faut un sujet à tombait). L'analyse
montre la grammaticalité mais celle-ci se sent d'avance, inconsciemment. Il faut cependant un
grand écrivain pour jouer sur autant d'indices ténus.
Voyez-vous combien le marquage peut aider à mettre à jour les rouages, et les
engrenages. De là vient, naturellement, l'idée d'illustrer le cédérom du cours avec un intérieur de
montre.
APPLICATION
Choisir dans les livres qu'on peut avoir sous la main quelques phrases qui peuvent se lire de
plusieurs façons de point de vue des limites de mots phonétiques. Faire le marquage. Discuter la
vraisemblance des alternatives.
La plupart des phrases analysées ici et dans le chapitre suivant peuvent servir de corrigé
exemplatif.
DÉCOUPAGE ET MARQUAGE 1
Place du syntagme parmi les paradigmes textuels. 1
Le syntagme réduit. 5
Découpage du sujet. 8
Ambiguïté de c'est. 9
Connecteurs en plusieurs mots. 12
Syntagme et correction. 13
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