La grande plaine s'étend au loin; elle a des canaux et des routes, elle est accessible de
partout.
Autrefois, au temps de grandeur, les essieux des chars se touchaient, les hommes
étaient serrés épaule contre épaule le long de ces routes. La plaine était couverte de vilages et
de fermes, les cris et les chants emplissaient la voûte céleste. On exploitait les terrains de sel,
on creusait les montagnes pour en extraire du cuivre. Les hommes étaient forts et pleins de
talents, courageux et opulents; tout, hommes et bêtes, était magnifique.
Aussi se sont-ils permis d'enfreindre les lois (.....)
Trois dynasties se sont succédé, cinq siècles ont passé. Finalement le pays fut partagé
comme une pastèque, les terres dispersées comme des grains de pois.
Les plantes aquatiques ont envahi les puits, les vignes sauvages encombrent les routes.
Les serpents et les grenouilles hantent les salles de conseil, les daims et les chauve-souris se
battent sur les marches des perrons. Les loups-garous sont venus des forêts et les démons des
montagnes, les rats sont venus des plaines et les renards des murailles. Dans le hurlement du
vent, dans le crépitement de l'averse, ils apparaissent au crépuscule et fuient à l'aube. Les
vautours faméliques aiguisent leur bec, les chouettes d'hiver se précipitent sur les passereaux.
Des couples de tigres se cachent pour boire le sang et se repaître de viande.
(.....)
Quant aux linteaux sculptés, aux rideaux brodés, les pavillons construits pour le chant
et la danse, les sources d'orfèvrerie, les arbres de jade bleu-vert, les salles qui abritaient des
forêts de lances et des monceaux de grappins, la musique de toutes les régions de Chine, les
poissons, les dragons, les oiseaux, les chevaux, --- tout est disparu, le parfum en est évanoui,
la braise éteinte, l'éclat noyé, l'écho muet.
Les belles princesses de la capitale de l'Est, les beautés des pays du Midi, des coeurs
d'orchidées, des corps de soie, le teint de jade, la bouche de carmin --- toutes sont des âmes
hantant des sépulcres, des pierres tombales solitaires, une poignée d'os menus, une poussière
qui se dissipe. Quel souvenir reste-t-il des joies et douleurs qu'elles éprouvaient, des
splendeurs et misères des palais?
C'est la voie du ciel; que de regrets elle soulève! Je prends ma cithare et, en
m'accompagnant, je compose un chant sur cette ville abandonnée. Le chant dit:
Le vent des frontières est rapide,
Il est froid au-dessus des remparts.
Puits et routes détruits,
Monts et collines affaissés.
Mille ans, mille générations,
Tout est disparu --- que dire?
Référence. Pao Tchao dans Anthologie, p.140-2.
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